Les reproches au sein du couple visent à susciter la honte, le regret, la culpabilité de l’autre. S’ils sont difficiles à éviter, en quoi les reproches peuvent-ils réellement miner un couple, être un véritable poison ?
Que se cache-t-il derrière les remarques, blâmes et réprobations que l’on peut adresser à son partenaire ?
Qu’est-ce qui se joue dans le couple derrière les reproches que les deux partenaires peuvent formuler ?
Il arrive très souvent que les reproches soient projectifs.
On reproche à l’autre des sentiments qu’on éprouve soi-même, des comportements qui sont les nôtres. « Tu ne m’aimes plus comme avant, tu ne fais plus attention à moi, tu ne me regardes pas ».
Avec une espèce d’avantage un peu pervers qui consiste à se débarrasser sur l’autre d’une culpabilité que l’on s’en veut d’éprouver.
Derrière les reproches se cache souvent ce qu’on se reproche à soi-même, mais aussi ce qu’on reproche par exemple à un parent et qu’on projette sur son partenaire.
Un exemple : une femme qu’une mère peu aimante n’a jamais soutenue, cherche dans son mari quelqu’un qui l’aimera de manière inconditionnelle, comme sa mère ne l’a jamais fait.
Lui, de son côté, a besoin, pour des raisons qui tiennent à son histoire, de faire du bien à quelqu’un, de s’en occuper (il a perdu un parent jeune qu’il aurait voulu sauver).
Mais la demande de la jeune femme est impossible : elle reproche à son mari de ne jamais en faire assez et en même temps, d’en faire trop, de lui « obéir ».
Lui, lui reproche de n’être jamais contente, donc de ne pas vouloir du bien qu’il veut lui faire.
On voit ici comment les interactions entre eux ont été « contaminées » par des attentes qui s’adressaient non pas à l’autre, mais à un autre.
Les reproches visent généralement à susciter la honte, le regret, la culpabilité… Qu’est-ce qui les rend si dangereux ?
On sait que ce n’est pas une bonne idée de les formuler, on s’en veut de le faire quand même et de ce fait, on finit par en rendre son conjoint responsable.
Non seulement, on lui en veut pour quelque chose (ce qu’on lui reproche), mais aussi pour nous mettre dans cette situation désagréable de celui ou celle qui doit faire des reproches.
Ce système fait évidemment monter la tension et l’agressivité.
Dans certains couples, au bout d’un moment, se crée même une passion de la querelle, un emballement toxique. Les deux partenaires n’arrivent alors plus à s’arrêter.
Ce peut être avec un système d’escalade symétrique, sur le modèle de la course aux armements : à chaque accusation de l’un, répond une accusation en miroir de l’autre. « Toi non plus tu ne m’aimes pas, tu ne penses qu’à toi… ».
Chacun peut alors dérouler à loisir la liste interminable des situations illustrant son propos et batailler pour obtenir la palme du plus mal-aimé.
L’autre mode de réponse consiste à énumérer la liste inverse : tout ce qu’on fait pour l’autre et qu’il ne voit jamais.
Dans un cas comme dans l’autre, si la bonne volonté ne suffit pas à enrayer le mécanisme, le couple doit s’interroger : que signifie ce besoin d’escalade symétrique dans le sentiment d’être négligé par son partenaire ?
Qu’est-ce qui se cache derrière cette sorte d’appétence, soit à l’accusation, soit à la justification ?
Il peut aussi s’agir d’un système d’accusation circulaire, en boucle.
« Si je m’éloigne, c’est parce que tu me mets une pression insupportable, que tu m’étouffes. Si je t’étouffe, comme tu dis, c’est parce que tu me fuis constamment ».
Parfois, les partenaires se reprochent aussi des choses passées…
Les reproches rétrospectifs sont particulièrement peu « productifs », dans la mesure où ils sont formulés quand il est trop tard et que l’autre ne peut plus rien faire, qu’il est réduit à l’impuissance.
Non seulement, il n’a pas fait ce qu’il fallait, mais en plus, il n’y a rien qu’il puisse faire pour réparer.
Je me souviens d’un couple dans lequel la femme reprochait à son compagnon d’avoir été quasi absent au moment de ses accouchements.
Il le reconnaissait, s’en voulait beaucoup, avait essayé d’analyser les raisons de ce rapport problématique à la paternité tenant à la personnalité de son père, mais il ne voyait pas comment « réparer » ce qui avait, à ce moment-là, fait tellement souffrir sa compagne.
C’était une bonne chose qu’elle ait pu le formuler et qu’il ait pu l’entendre. Mais la répétition constante de ce reproche signifiait qu’il y avait quelque chose de plus actuel dans la difficulté qu’elle exprimait et que disait et masquait à la fois ce reproche récurrent.
Lorsqu’ils deviennent récurrents, les reproches dans le couple entrent-ils dans la catégorie des petites violences quotidiennes ?
Oui, quand le reproche finit par porter, non sur des faits, mais sur la personne même de son partenaire, sur ses parents, sur sa famille, sur son héritage culturel et qu’il vise à blesser profondément son partenaire, à provoquer chez lui de la honte d’être soi, un affect extrêmement dévastateur.
Un couple peut-il échapper aux reproches ?
Non mais si les reproches sont trop fréquents, même s’ils portent sur des broutilles, il convient à chacun de s’interroger : Pourquoi ce que fait mon partenaire suscite-t-il en moi tant d’irritation ?
Y a-t-il quelque chose d’autre que je n’arrive pas à lui dire et que cette irritation traduit ?
Et de l’autre côté, pourquoi cette habitude qui agace tant mon partenaire est-elle si fortement ancrée en moi ?
D’où me vient-elle ? Pourquoi ne puis-je m’en défaire ?
Pourquoi, alors que cela me serait relativement aisé, ne puis-je pas prendre en compte la demande de l’autre – reboucher le dentifrice, ranger mes chaussettes ? De quoi ai-je peur si je « cède » ?
L’enjeu, c’est de sortir du cercle des accusations, de la logique de guerre où chacun pense que l’autre est la cause de tous les problèmes et qu’il doit changer.
Ce travail d’élaboration commune permettra d’abord de sortir du système des projections croisées. Le partenaire n’est pas ce parent intrusif ou autoritaire dont l’emprise continue de nous effrayer.
Si on lui explique mieux les origines de la souffrance que son comportement provoque chez nous, s’il voit que ce n’est pas vraiment lui qui est en cause, mais une représentation du passé, il se sentira moins attaqué, lui, personnellement, dans ce qu’il est.
Dès lors, les concessions seront plus faciles dans la mesure où elles prendront leur source dans un souci réciproque d’attention à ce qui peut blesser.
Ce sera aussi l’occasion d’arriver à exprimer ce qu’on ressentait soi-même confusément et qu’on ne parvenait pas à dire à l’autre autrement que négativement, par ces accrochages permanents.
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